Claudio Monteverdi (1567-1643) incarne à lui seul la révolution du baroque en musique, à l’église à travers les Vêpres à la Vierge de 1610, au théâtre avec l’Orfeo de 1609, et enfin au salon avec le huitième livre de madrigaux (1638).
Comment mieux appréhender la musique baroque qu’en s’intéressant à ce compositeur ! Son œuvre inspirera toute l’Europe, et Schütz en particulier, si cher à la Chapelle Rhénane, sera son digne alter ego germanique.
Combatimento & Madrigaux
Le combat de Trancrède et Clorinde se base sur un extrait de la « Jérusalem délivrée » du poète Le Tasse. Le narrateur (Testo) raconte le combat de Tancrède, preux chevalier, contre Clorinde, une belle musulmane dont il est amoureux, déguisée en soldat. Tancrède, après un duel acharné, la transperce de son épée. Dans un dernier souffle, Clorinde exprime sa nouvelle foi au Dieu chrétien et elle pardonne à son agresseur. Tancrède la reconnaît et devient ivre de douleur, tandis que Clorinde expire, apaisée. Intégrée au huitième livre de madrigaux, cette scène dramatique et théâtrale est une relative nouveauté, renforcée par les indications scéniques du compositeur, l’alternance de périodes tranquilles (molli) et agitées (concitati), les suggestions musicales du fracas des armes. Monteverdi précise dans son introduction que l’œuvre devra être précédée d’un madrigal sans geste et que le début du combattimento doit être inattendu, les protagonistes – dont il détaille des éléments de costume – devant arriver à l’improviste.
Les autres madrigaux du huitième livre déclinent à l’envi la comparaison entre l’amour et le combat militaire, variant les effectifs à l’infini : de un à huit chanteurs en double-chœur, accompagnés par la basse continue et occasionnellement par deux violons.
Ce sommet du premier baroque est propice à une mise en espace scénique qui renforcera non seulement la dimension dramatique mais surtout la riche palette d’émotions inhérente à la musique.
Programme
Distribution
Vêpres à la Vierge
Avec le XVIIe siècle naissent la musique baroque et l’opéra, deux phénomènes indubitablement liés entre eux, puisque dans chacun on retrouve une approche radicalement nouvelle du texte et de l’émotion. Mais qu’en est-il de la musique sacrée à cette époque ? Encore très régie par les règles papales, elle a du mal à se libérer de la polyphonie ancienne ; la monodie et l’expression opératiques seraient ici un affront très indélicat ! Et pourtant, dès 1610, le malicieux Monteverdi compose une œuvre très spéciale pour l’office des vêpres : il reprend la structure habituelle – un enchaînement de certains Psaumes spécifiques dans le style traditionnel – mais intercale (cache, devrait-on dire) entre chacune de ces louanges un petit concerto dans le style moderne ! Comble de la facétie, il consacre le fastueux ensemble à la vierge Marie, figure ô combien centrale du catholicisme, et dédie son ouvrage au pape !
C’est cette histoire fascinante des Vêpres à la Vierge de Monteverdi que la Chapelle Rhénane raconte: l’histoire du premier grand chef-d’œuvre sacré de la musique baroque, plus de cent ans avant les Passions de Bach, qui refermeront ce cycle historique.
Neuf chanteurs solistes, cornets, saqueboutes, violons et continuo, près de vingt musiciens sont ici rassemblés pour faire jaillir la splendeur des psaumes en double-chœur et pour plonger dans l’intimité sensuelle ou mystérieuse des concertos à une, deux ou trois voix.
Programme
Distribution
Rolf Ehlers et Jean-François Lombard, haute-contres
Michael Feyfar, François Rougier & Benoît Haller, ténors
Benoît Arnould & Ekkehard Abele, barytons
Guillaume Humbrecht & Clémence Schaming, violons
François Joubert-Caillet, viole de gambe
Élodie Peudepièce, violone
Marie Garnier & Liselotte Emery, cornets à bouquin
Franck Poitrineau, David Yacus & Joseph Bastian, saqueboutes Marie Bournisien, harpe Thomas Boysen, théorbe Sébastien Wonner, orgue et clavecin
Concerts
Selva Morale & Spirituale
Le recueil « Selva Morale et Spirituale » constitue le testament musical de Claudio Monteverdi : suite aux Vêpres à la Vierge, recueil publié en 1610, Monteverdi avait composé quantité de pièces pour l’office religieux de la basilique St.-Marc à Venise. Publié en 1641, deux ans avant la mort de celui qu’on appelait « Oracle de la Musique » ou encore « Lumière et fierté de notre siècle », ce nouveau recueil regroupe la quasi-totalité de ces œuvres composées par Monteverdi entre 1610 et 1640.
La variété des formes au sein de ces 37 compositions est infinie : du motet solistique accompagné par la seule basse continue aux psaumes à 8 voix étoffés par violons et violes, cornets et saqueboutes, en passant par des madrigaux spirituels, une scène d’opéra sacralisée, des motets polyphoniques, des hymnes lyriques, des pièces en double-chœur, une messe polyphonique, toutes les distributions possibles et imaginables sont représentées ! De nombreux psaumes dédiés à l’office des vêpres font même l’objet de plusieurs compositions, et il est étonnant d’y entendre à quel point l’inspiration de Monteverdi est infinie et renouvelée.
Plus encore, c’est la variété stylistique qui est singulière dans ce florilège : au tournant du XVIIe siècle, Monteverdi avait incarné la nouvelle musique, cet élan qui voulait rendre à la musique tout son potentiel humain, lui donner le pouvoir de déclencher des émotions intenses et contrastées chez l’interprète comme chez l’auditeur, la faire parler, la charger d’un message. Cette révolution, Monteverdi lui avait donné corps dans les genres profanes – au théâtre avec l’opéra naissant et au salon avec les madrigaux. C’est sur ce terrain profane que le compositeur avait expérimenté, et perfectionné son art de l’écriture musicale.
La Selva Morale, ce témoignage d’une trajectoire de vie, qui s’étale sur pas moins de 30 années, nous donne à entendre une musique infiniment plus ambitieuse, tant musicalement que spirituellement, que toutes les œuvres des compositeurs contemporains. Avec la maturité de Monteverdi se révèle aussi une étonnante capacité à jouer avec les mots en mettant en musique les émotions qu’ils transportent. Les contrastes sonores y sont si vifs et lumineux, l’inventivité y est si surprenante et envoûtante, que la Selva Morale stimule continuellement l’imaginaire de l’auditeur, suscitant l’éveil de sensations, d’images et de couleurs.
À l’image du phénomène incarné dans l’autre grand chef-d’œuvre du baroque, la Messe en Si Mineur de J.S. Bach, plusieurs synthèses s’opèrent dans la Selva Morale : celle de l’ancien et du nouveau, l’ancien étant représenté par les motets en stricte imitation, héritage de la musique de la Renaissance – le nouveau, par la monodie accompagnée et les concertos de voix et d’instruments d’où jaillissent affects et virtuosité. Celle du profane et du sacré, quand Monteverdi transpose le lamento d’Ariane pour en faire le lamento de la madone ou quand le madrigal « dolcissimo usignolo » (Ô doux rossignol) engendre « confitebor tibi domine » (je me confie en toi, Seigneur). Celle de la jeunesse vivifiante et lumineuse et de la vieillesse où plane l’ombre de la mort, quand on constate que le génie musical à son apogée n’est rien s’il ne se combine à l’innocence enfantine.
Entre tradition musicale stricte et nouveau langage inventif et expressionniste, entre jeunesse empreinte de liberté et de jeu et sagesse de l’âge mûr, entre genre profane décomplexé et genre sacré voué à la piété la plus pure, cette forêt riche en espèces, en couleurs et en formes, tantôt touffue, tantôt diaphane, est l’espace idéal pour un jeu d’ombres et de lumière.
Programme
Distribution
Concerts
Un Univers de Mots
À la charnière des XVIe et XVIIe siècles, Monteverdi est à la fois le musicien de la synthèse des styles et des influences, et le précurseur de l’esprit baroque en musique. Le vénitien compose des motets et vêpres pour la basilique Saint Marc, des opéras pour tous les grands théatres de l’Italie du Nord, et des madrigaux pour les soirées mondaines. La musique de Monteverdi est constamment inspirée par le texte, que celui-ci soit issu de la Bible, des épopées lyriques ou encore de la poésie de Pétrarque.
Mais comment le génial compositeur des Vêpres, des Madrigaux, et de l’Orfeo approche-t-il ces différents genres ? Comment s’adonner à l’art de la composition de manière si profonde et aboutie, dans toutes ces diverses expressions, sans confiner à la folie ? Le sacré et le profane s’opposent-ils vraiment ou ne sont-ils finalement que les différentes facettes de sentiments universels ? L’apparente opposition entre madrigaux amoureux et madrigaux guerriers a-t-elle son pendant dans le domaine religieux ?
La Chapelle Rhénane propose une plongée dans cet univers monteverdien, grâce à une distribution miniature pour un effet maximum : deux ténors, avec de nombreuses cordes à leur arc, mènent l’enquête et tentent de répondre à ces questions…